Eco et politique
Kanga Koffi, PCA de l’ANAPROCI, à propos du prix du kilogramme de cacao en Côte d’Ivoire: «Les producteurs ivoiriens sont désavantagés»
Alors que les cours du cacao atteignent des sommets au niveau mondial, en Côte d’Ivoire, les producteurs font face à des défis majeurs. Kanga Koffi, le président du conseil d’administration de l’Association nationale des producteurs de Café-Cacao de Côte d’Ivoire (ANAPROCI) a accepté de se pencher sur le sujet. Qu cours de cet interview, nous aborderons les récentes négociations sur le prix du cacao, les perspectives économiques pour les producteurs ivoiriens, ainsi que les enjeux et les défis liés à la commercialisation dans le secteur cacaoyer du pays.
Lemeridien: Une grève a été annoncée pour le jeudi 28 mars 2024. Mais à la veille de celle-ci, vous avez obtenu une rencontre avec votre ministre de tutelle. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Kanga Koffi : Avant tout, je tiens à clarifier que le mot d’ordre de grève n’a pas été levé, mais plutôt suspendu suite à une rencontre avec le ministre d’État de l’agriculture, Adjoumani. Cette réunion, tenue à la veille de notre grève le mercredi 27 mars, a été mandatée par le président de la République lui-même.
Au cours de nos échanges, le ministre nous a informés que le président de la République avait pris en charge la question du prix du cacao et d’autres problématiques que nous avions soulevées, y compris l’évaluation du système de commercialisation et ses lacunes. Ces sujets feront l’objet de discussions pour envisager des améliorations.
Avec la promesse d’un nouveau prix à la hausse par rapport aux précédents, suite à ces échanges et consultations internes, nous avons décidé de suspendre temporairement notre mouvement de grève.
Lemeridien : À la suite de cette rencontre, le ministre Kobenan Kouassi Adjoumani a annoncé le mardi 02 avril que le prix du Cacao passe de 1000 FCFA à 1500 FCFA au cours de cette campagne intermédiaire de commercialisation 2023-2024. Quel commentaire faites-vous ?
Kanga Koffi : Le nouveau prix a été révélé, et nous avons pris acte de cette information. L’ANAPROCI, ainsi que d’autres organisations telles que le Syndicat national agricole pour le progrès en Côte d’Ivoire (Synapci) et le Conseil national des syndicats agricoles de Côte d’Ivoire (Conasaci), avons convenu de nous réunir le vendredi 12 avril à Daloa pour une grande rencontre. Cette réunion rassemblera tous les délégués des régions, des départements et nos coordonnateurs afin de discuter des multiples problématiques qui dépassent la simple question du prix.
Nous reconnaissons les efforts déployés par le président de la République à ce niveau, et nous saluons ces avancées même si elles ne répondent pas entièrement à nos attentes. C’est pourquoi nous attendons la réunion du 12 avril pour formuler notre position définitive après des débats approfondis avec tous nos représentants. En attendant, nous notons positivement l’augmentation du prix annoncée.
Lemeridien: Prendre bonne note signifie-t-il que vous êtes satisfait de ce prix bord champ, quand on constate qu’au Cameroun et dans certains pays, le prix bord champ est plus élevé ?
Kanga Koffi : En examinant les prix pratiqués dans des pays comme le Cameroun, Madagascar et les pays voisins comme la Guinée, nous sommes conscients de notre position de leader mondial en termes de production. Toutefois, la comparaison des prix entre ces pays et la Côte d’Ivoire révèle une certaine pénalisation due au système de vente par anticipation.
Malgré les affirmations du ministre d’État sur le succès de la vente pour la campagne intermédiaire, où les 60% ont été appliqués, nous constatons que sur le marché mondial, les producteurs d’autres pays bénéficient de prix plus élevés. Bien que le gouvernement ait fait des efforts pour augmenter le prix, il reste encore beaucoup à faire pour atteindre une satisfaction pleine et entière.
Lemeridien : Est-ce que cela veut dire que nous ne sommes pas à l’abri d’une fuite du cacao vers les pays voisins où le prix bord champ est bien supérieure à celui de la Côte d’Ivoire ?
Kanga Koffi : Il est souvent souligné que nos collègues producteurs de la zone ouest sont tentés de vendre leur production dans les pays voisins. Cela est dû à la proximité géographique des zones de production avec ces pays, ce qui facilite et accélère la vente de leurs produits. Cette question suscite un débat important. Nous estimons donc qu’il est nécessaire d’organiser des rencontres pour évaluer la situation et proposer des solutions concrètes.
Par exemple, l’installation de bureaux d’assiette fiscale ou de boxes aux frontières pourrait permettre aux opérateurs de réaliser les enregistrements, évaluations et prélèvements nécessaires, tout en facilitant les transactions pour les producteurs.
Il est crucial de sortir des schémas traditionnels et de moderniser nos méthodes pour favoriser une meilleure vente des produits. Ces défis doivent être discutés en profondeur pour progresser de manière inclusive et efficace, car cette dynamique est en constante évolution et nécessite des ajustements pour une industrie cacaoyère plus performante et équitable.
Lemeridien : La question des acheteurs véreux?
Kanga Koffi : Les acheteurs ont commencé à augmenter les prix au-delà du coût bord champ, avec des tarifs allant jusqu’à 1500 F, 1600 F, voire 1700 F à l’usine. Cela a conduit le gestionnaire à émettre une circulaire interdisant ces pratiques de surpaiement. Nous constatons ainsi que les acheteurs eux-mêmes contribuent à l’augmentation des coûts au niveau du bord champ.
Actuellement, la hausse des prix au niveau mondial pousse tous les opérateurs à rechercher activement le produit, surtout après une grande traite peu fructueuse. Nous espérons que la petite traite sera meilleure, mais la demande reste forte et les partenaires peinent à atteindre leurs volumes souhaités.
À ce stade, je ne prévois pas de problèmes majeurs contrairement aux campagnes passées, mais il est essentiel de rester vigilants. C’est pourquoi nous nous sommes engagés à organiser un grand rassemblement à Daloa, où nous pourrons réfléchir, débattre et aborder toutes les problématiques de notre filière. Ces échanges nous permettront de définir une position commune et de formuler des résolutions à transmettre à l’exécutif.
Lemeridien: Qu’en est-il des décideurs politiques ?
Kanga Koffi : Je ne perçois pas cela comme un problème politique. Bien sûr, les politiciens voudront exprimer leur point de vue, mais avant tout, nous sommes des citoyens ivoiriens. En tant que producteurs et professionnels de notre domaine, nous observons la réalité telle qu’elle est. Il est vrai que la Côte d’Ivoire n’a jamais atteint le prix record de 1500 F bord champ.
Cependant, depuis que le cacao est cultivé, nous n’avons jamais connu une augmentation aussi significative des prix sur le marché mondial. Cela montre bien que même si les prix ont augmenté à l’échelle mondiale, cette hausse ne se reflète pas de manière équivalente au niveau bord champ.
Cette disparité de prix crée une certaine frustration parmi les producteurs et les responsables de l’organisation, car c’était une opportunité pour nous de bénéficier de ces avantages.
Prenons par exemple le Cameroun, où le prix est actuellement à 5100 FCFA. Cela signifie qu’un producteur camerounais peut générer 7 100 000 FCFA en vendant une tonne de cacao, tandis qu’un producteur ivoirien, avec un prix de 1500 FCFA par tonne, ne gagnerait que 1 500 000 FCFA. Cette différence de revenu est significative et montre que malgré un travail similaire, les producteurs ivoiriens sont désavantagés.
Il est essentiel de considérer cette réalité de manière objective et de prendre des mesures significatives pour remédier à cette situation.
Lemeridien : Selon vous la Côte d’Ivoire qui est premier producteur, cela doit également être visible dans le prix ?
Kanga Koffi : Bien sûr, notre position en tant que producteurs de près de la moitié du cacao mondial, soit environ 45%, est privilégiée. Cela signifie que notre influence sur le marché mondial devrait être considérable. Si nous ne parvenons pas à exercer cette influence, cela indique qu’il est nécessaire de revoir certains aspects.
Au-delà des questions de vente actuelles, il est crucial de repenser notre politique, que ce soit dans le secteur du cacao ou du café, afin de ne pas rester dans une position où nous semblons dépendre des chocolatiers et de mendier leur attention. Je me rappelle encore de la crise du cacao sous le président Félix Houphouët-Boigny. Il avait souligné que tant que nous continuerons à exporter nos fèves sans valeur ajoutée, nous serons toujours vulnérables.
Plus de 30 ans se sont écoulés, et nous sommes toujours dans cette situation. Même si on dit que nous transformons près de 50% ou 40% de notre production, qui détient réellement cette transformation ? Est-ce réellement la Côte d’Ivoire, ou bien les multinationales qui dominent toujours le marché mondial avec leurs unités de transformation ? Est-ce que cette politique peut vraiment nous sortir de cette fragilité constante ? Nous devons poser ces questions et mener des débats constructifs pour trouver une approche qui nous permettra d’avoir une économie cacaoyère durable, bénéfique pour tous les acteurs de la chaîne de valeur.
Lemeridien