Depuis quelques années, la toile bruit toujours avec de nombreuses publications présentant des images de ponts, d’échangeurs, de buildings, de routes bitumées et d’autres réalisations à l’actif du chef de l’Etat. Les auteurs semblent être recrutés pour diffuser ces images et leurs commentaires accompagnant ces images laissent perplexes.
Autant ils chantent le mérite du chef de l’Etat, autant ils ne s’empêchent pas de tourner en dérision ses prédécesseurs qui à les entendre, n’ont rien fait pour ce pays. Toutes ces publications convergent vers un seul but : rehausser l’image du chef de l’Etat actuel, et écorner celle de ses prédécesseurs. Tout est dans les comparaisons.
Et celui qui est le plus tourné en dérision est le président Gbagbo, qui aurait passé dix ans à la tête du pays sans avoir apporté « une aiguille » à son développement. Faut-il s’étonner de ces comparaisons ? Assurément non. Nous sommes familiers de ce discours depuis 2011. Tous les 6 août, veille de la date anniversaire de l’indépendance sous haute surveillance de notre pays, le Chef de l’Etat a pris le pli d’accorder une interview à la RTI et de s’adresser à la nation.
Entre autres déclarations, le Chef de l’Etat n’hésite pas à affirmer avoir fait au cours de sa gouvernance, plus que ce qui a été fait depuis 1960 en Côte d’Ivoire. Au-delà de l’autocélébration et de l’autosatisfaction qui ressemblent fort à un narcissisme exacerbé, mu par un égo surdimensionné, le pays vit depuis 2011 au rythme de comparaisons, mais surtout de comparaisons avec l’époque du Président Gbagbo.
Morceaux choisis:
– Faire remarquer que la majorité des admis aux différents concours en Côte d’Ivoire depuis 2011 ont des noms spécifiques à une aire géographique du pays, il vous sera répondu qu’ « au temps de GBAGBO », c’était ainsi.
– Dénoncer les nombreux détournements et les scandales financiers depuis 2011, comme au Guichet Unique, au Fer, à l’Artci à la Petroci où 17 000 tonnes de gaz se sont volatisées, ou au fonds Café- Cacao sans que les auteurs ne soient punis, il vous sera répondu, qu’on a vu pire « au temps de GBAGBO ».
Passant sous silence, que sous GBAGBO, des personnes soupçonnées de détournement au Fonds Café -Cacao ont été arrêtées, jugées et emprisonnées après avoir été reconnues coupables desdits détournements.
– Regretter que la politique de rattrapage ethnique soit sans gêne érigée en mode de gouvernement, la même litanie vous sera servie.
-Faire remarquer que dans l’administration centrale, rares sont les personnes estampillées comme étant de l’opposition qui occupent un poste de directeur ou de sous-directeur, il vous sera inlassablement répondu qu’« au temps de GBAGBO » c’était pareil.
– Se plaindre de l’attribution des marchés gré à gré aux mêmes personnes ou aux mêmes structures sans envergure, sans grande surface financière, ni l’expertise requise, qui mettent des ouvrages de mauvaise qualité à la disposition du contribuable, on vous dira qu’en dix ans de temps GBAGBO, rien n’a été fait. Et la liste est loin d’être exhaustive.
Il faut saluer les efforts faits pour doter le pays d’infrastructures mais…
De toute évidence, gérer le ministère de la parole quand on est dans l’opposition et gérer effectivement le pouvoir d’Etat en apportant non pas des promesses, mais des réponses concrètes aux préoccupations des populations, sont deux choses diamétralement opposées. Et plutôt que de s’atteler à améliorer le quotidien des Ivoiriens, on tombe dans une autocélébration et une autosatisfaction de mauvais goût, et on procède à des comparaisons qui n’ont pas de raison d’être.
On ne peut pas avoir objectivement combattu un régime huit années durant, au travers d’une rébellion armée, l’accusant d’incompétence, et se retrouver à se comparer à lui à tout bout de champ. Cela est non seulement incompréhensible, désespérant mais surtout indécent. « Le temps de GBAGBO » est donc devenu l’étalon-or, l’unité de mesure et de référence de tout ce qui est entrepris dans la troisième République.
A l’évidence, il faut saluer les efforts faits pour doter le pays d’infrastructures. Mais il serait bon que cela soit accompagné de réponses aux préoccupations existentielles des populations : se soigner à moindre coût, faire face à la cherté de la vie, pouvoir s’offrir trois repas par jour, former les enfants dans des écoles de qualité, etc. voilà l’essentiel ! Ainsi va le pays. Il arrive assurément ce jour, où l’ivraie sera séparée du vrai.
NAZAIRE KADIA
Analyste politique