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Que valent ces hommages publics à la gloire du prince ?

Eco et politique

LA CHRONIQUE LITTÉRAIRE DE SYLVAIN TAKOUÉ – Que valent ces hommages publics à la gloire du prince ?

Qu’est-ce qui justifierait tant l’organisation de ces cérémonies publiques d’hommage et de reconnaissance, pompeusement dédiées à la gloire du prince ? Bien sûr, ce n’est pas que sous lui que ces pratiques étranges ont eu cours dans le pays… Je ne parlerai donc que du cas général, même si c’est le cas singulier du prince du moment qui vaut de faire cette chronique de société. Mais voici ce que j’en dis.

Tout prince régnant est déjà, chez lui, dans la suffisance héroïque. La couronne qui ceint son front a pour nom la gloire personnelle, la majesté princière, l’omnipotence… bref, sa vie est drapée dans le pourpre du pouvoir. C’est un intouchable. Ce n’est donc presque plus un homme ordinaire que nous avons, mais un demi-dieu terrestre. 

S’il ne proclame pas lui-même qu’il est un tel personnage inatteignable, placé loin de la mêlée, et au-dessus des existences ordinaires destinées aux petites gens, son envergure y contraint moralement, et psychologiquement. Louis XIV était le roi Soleil. Ce n’est pas pour rien. C’est parce que le soleil est le roi des planètes de notre galaxie cosmique connue.

Ce seul cas de Louis XIV suffit à voir et savoir qu’un prince est l’arrogance incarnée, une figure surfaite, la déification personnifiée. Si le titre de roi lui est insuffisant et moins glorieux, il arrive au prince de s’autoproclamer empereur. L’histoire a de telles traces : Charlemagne, Napoléon 1er, Napoléon 3…

Le prince, alors, a la tête aux nues, et n’a plus les pieds sur terre, même si son piédestal, même si son marche-pied favori est son entourage immédiat – y compris le petit peuple de la Cité qu’il gouverne –  sur qui il essuie à son aise les semelles de ses bottines d’or. La vie du prince, jadis, était continuellement rythmée à cette cadence de pratiques du superflux et de l’ostentatoire, dans les royaumes et empires que le monde a connus.

C’étaient des civilisations princières arriérées à cet art de la gouvernance politique personnelle et personnifiée, qui portait un homme presque divin (les rois de France, comme on le disait, étaient oints du droit divin), aux nues, et déshumanisait le peuple contraint à la genuflexion et à une vie de réptation voulue par le prince. 

Dans les civilisations gréco-romaines antiques, la vie princière était faite de jouissances festives, de cérémonies de réjouissances, faites à la grandeur du prince, et où les fastes et les orgies étaient plus du gâchis que de la mansuétude utile au peuple. 

Car, tout son règne durant, le prince était l’être suprême, à ne jamais rabaisser. Ce n’était pas le peuple dont il fallait tant se préoccuper, mais du prince, et seul lui, dans son ère de rayonnement. Il était le dieu Jupiter chez les Romains, ou Zeus chez les Grecs. Il était au moins le tout-puissant Jules César, ou Alexandre le Grand. 

Et pour maintenir la frénésie de cette vie fastueuse et orgiaque, l’impôt et la taxe, même prélevés sur la plus maigre récolte saisonnière du moindre paysan, était la règle d’or, la mesure martiale. Il fallait payer ce dû au prince, pour qu’il en jouisse avec les siens.

Le paysan récalcitrant, qui avait le malheur d’en avoir marre de se faire tant spolier par cette usure princière, était tout de suite fait prisonnier à vie, ou conduit au billot, pour l’exemple. S’il était fait prisonnier, il croupissait au fond d’un ténébreux cachot. Là, on l’affamait à l’extrême. 

Dans la pénombre de cette détention, il finissait, en pleurnichant et suppliant, par renoncer à sa rébellion contre le prince, ou, s’il y persistait, se voyait obligé de manger avec grand appétit sa propre crotte d’animal encagé, et de boire aussi sa propre urine dans le creux de la main. Puis, au bout du supplice, il mourait un jour de maladie ou de la diète noire. 

La nouvelle macabre était ensuite portée au prince couché dans son lit douillet, ou déjeunant, ou dînant, et l’on voyait son visage qui s’illuminait de satisfaction, et avec cette satisfaction, il envoyait diffuser la nouvelle  dans la Cité. Cela, pour l’exemple.

Si ce paysan rebelle était bon à conduire à la guillotine ou à l’échafaud, son sort était presque immédiat. La lame tranchante de la machine de mort lui coupait net le cou, et sa tête sanguinolente tombait et roulait par terre. Le bourreau qui faisait cela, y mettait du zèle. Le sang du décapité giclait de toutes parts sur le visage des gens venus se masser à la place publique pour voir et regarder ce spectacle navrant et affreux 

Puis, quand l’émotion collective avait pris cette foule, chacun rentrait chez lui avec quelque chose d’effroyable à raconter, tout pénétré d’angoisse, et se disant surtout en lui-même : -« Jamais je ne me refuserai à payer son dû princier à notre prince bien-aimé ! »

La nouvelle crue du supplicié était portée au prince se livrant peut-être, à ce moment-là, à son jeu de société favori, avec les siens. Informé du crime, il jubilait et enjolivait même le récit macabre, dont il ne fut pourtant pas témoin. 

Au même moment, la Cité était envahie, de masure en masure, de cette frayeur de la guillotine qui venait, hélas, de trancher le cou à un pauvre paysan.

L’impôt ou la taxe que ce paysan manqua de payer pour les goinfreries du prince, était le droit de vie ou de mort que ce prince avait sur lui, et qu’il a sur chacun des citoyens, singulièrement ceux de la classe populaire de la Cité. 

Voilà ce qui se faisait hier, à ces époques reculées dans le temps, et auquel on voudrait nous faire encore penser aujourd’hui. Ces ennuyantes cérémonies d’hommages et de reconnaissance, organisées pour le prince du moment, ont-elles vraiment lieu d’être ? 

Quel serait le sort de ses organisateurs zélés, si elles n’étaient pas ainsi faites, eux qui s’y obligent tant, et y obligent aussi tant d’autres pauvres gens de la Cité ? On rend ces hommages publics superflux au prince, pour des infrastructures qu’il a construites dans (et pour) le pays. Mais l’a-t-il fait avec ses fonds personnels, avec ses fonds propres ?

Pourquoi s’oblige-t-on tant à organiser ces cérémonies en son honneur, quand c’est avec l’argent public (c’est-à-dire les recettes des impôts et taxes payés par le contribuable), qu’il engage ces travaux infrastructurels? 

D’ailleurs, où ces organisateurs prennent-ils tout cet argent leur servant à organiser ces fêtes foraines en l’honneur du prince, si ce n’est aussi dans la manne financière du contribuable ? Devrait-on le célébrer à ce point, d’avoir fait le travail pour lequel il est oint prince ?

Organise-t-on des cérémonies publiques d’hommage à un menuisier qui nous a fabriqué et livré une chaise pour laquelle il s’est dit compétent et s’est fait payer ? Serions-nous jetés en prison, ou nos têtes passeraient-elles au billot, si nous ne faisions pas ces hommages de fausse gloire au prince?

Sylvain Takoué 

Écrivain ivoirien

sylvaintakoue@yahoo.fr 

*Texte protégé.

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