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Une société qui désacralise ses écrivains, surtout ces authentiques penseurs utilitaires, ne se rend pas service (Par Sylvain Takoué) 

CAFÉ CHAUD

Une société qui désacralise ses écrivains, surtout ses authentiques penseurs utilitaires, ne se rend pas service (Par Sylvain Takoué) 

Le philosophe existentialiste Jean-Paul Sartre a écrit que « Le mot est comme un pistolet chargé ». En d’autres termes, il parle du Livre et de son impact dans (et sur) la société humaine. 

Ce philosophe attire ici l’attention sur ce que représente en vrai le Livre, œuvre de l’esprit, pris à la légère par beaucoup de gens pour qui ce n’est qu’un volume, mince ou épais, de pages imprimées et flanquée d’une couverture estampillée du nom de son auteur et d’un intitulé, le tout mis en évidence par une belle manufacture.

Mais il ne faut pas s’arrêter là, il faut le découvrir, c’est-à-dire entrer dans le Livre, par curiosité, c’est-à-dire le lire par intérêt, c’est-à-dire en rencontrer, par invitation intellectuelle, le mobile de rédaction et de publication.

La raison en est simple. C’est qu’un auteur ne rédige pas son livre pour rien : il y a mis sa réflexion, qu’il livre au public, donc au monde, en le faisant par un certain talent appelant à la fois à la persuasion et à l’influence qu’il entend en tirer. Cela fait sa renommée, bonne ou mauvaise.

Le Livre devient, pour l’écrivain (c’est-à-dire pour un auteur professionnel et confirmé, produisant des œuvres littéraires conçues dans les genres classiques – Roman, Poésie,  Essai, Récits, Nouvelles, etc.), une arme intellectuelle, chargée.

Mais chargée comme une arme à feu, et chargée à blanc ou en vrai ? C’est la portée de cette arme, et ce qu’elle vise, comme cible parfaite, qui définissent la vraie nature du Livre : œuvre de construction, ou de destruction.

C’est, à notre avis, l’avertissement clair et simple (car c’en est un !) que le philosophe Jean-Paul Sartre fait à la société. Par deux exemples notoires, nous en ferons voir la lucidité. 

Le premier exemple, celui du livre destructeur, est donné par un auteur repoussant, excessif, machiavélique : Adolf Hitler, le Führer du 3e Reich de l’Allemagne nazie. À l’échec de son audacieux mais piètre coup d’État de Munich, perpétré dans les années 1930 (…), il fut mis en prison, avec ses acolytes, par les autorités allemandes de l’époque. 

Là, il fit écrire, par un bien fidèle compagnon de cellule, et sous sa dictée à lui, Adolf Hitler, dictée hachée, saccadée, presque impériale, un livre fiévreux, imprégné de colère, empli de sa voix revancharde, qui révéla au grand jour sa personne belliqueuse. Il intitula ce livre hallucinatoire, de plus de 600 pages : « Mein Kampf » (Mon Combat).

Quel était ce « combat » ? Devenir le Chancelier allemand en place, en prenant possession de l’Allemagne de son époque, ruinée par les sanctions économiques lourdes et exorbitantes, infligées au pays, après la Première guerre mondiale, dont ce pays était accusé. 

Et une fois cela fait, devenu Chancelier, conduire l’Allemagne dans une voie de conquête militaire d’espace vital, vaincre les pays à annexer, et si des resistances s’y opposaient, confronter les pays de ces résistances dans une autre guerre, qui serait la revanche salutaire de l’Allemagne nazie, sur l’histoire honteuse de la défaite de 1918.

En écrivant et publiant son fameux livre « Mein Kampf », Hitler y avait mis son génie de guerre ou plutôt de la provocation : un programme politique belliqueux, rageur, et presque extatique quant à sa parfaite mise en œuvre énoncée comme dans un conte de fée, était ainsi donné à lire au monde entier, le prévenant que c’était ce qui allait se faire, sous peu, à l’avènement nazi imminent. 

Le but de cet avènement nazi : faire acte de possession territoriale par dépossession militariste, confronter les puissances du moment, les forcer à réagir militairement contre les provocations nazies, pour, enfin, bouleverser l’histoire du 20e siècle. 

Hitler attendait ce satisfecit, et fut ainsi au cœur du plus grand scandale politique et hégémonique du 20e siècle : la Seconde guerre mondiale. Or, un livre attentatoire, le sien, en avait prévenu le monde…

Ce livre, en un mot, était un pistolet chargé avec de vraies balles. 

Voilà pour ce qui est du vice de destruction sociale, porté par un mauvais livre. Tout comme le bon livre, c’est pourtant une œuvre de l’esprit, mais sortie de l’imagination féconde et narcissique d’un auteur  aventurier, enthousiasmé par le mal.

Il faut donc à la société humaine de bons livres, voués à l’utile et nécessaire instruction des esprits. Ce qui nous amène au second exemple, celui du Livre constructif.

Pour en faire cas, revoyons ici ce qu’ecrivait l’écrivain érudit Victor Hugo. Il a fait cette supplique : « Une Bible par village, un Évangile par cabane ». Ne nous arrêterons pas au fait qu’il parle de bible et d’évangile, mais disons qu’il fait une allusion au Livre, tout court.

Si Hugo a pris l’exemple de la Bible, c’est tout simplement parce que, dans son entendement de l’époque du 19e siècle, il pensait que la Bible était le tout premier livre au monde, à être publié. De plus, c’est un livre de bonne morale et de spiritualité acceptable pour l’humanité. 

Dans sa supplique de faire distribuer ce livre aux villages et dans les cabanes, il laisse entendre, par là, que cela doit être le traitement à faire à un bon livre, œuvre instructive et de construction. Cet exemple pourrait être pris pour le Coran, la Torah, et pour d’autres livres saints, empreintes de haute spiritualité. 

L’art du livre instructif et constructif devrait donc être la chose la mieux partagée au monde. Un bon écrivain ne devait pas s’attirer les foudres du monde, s’il parle au monde des problèmes majeurs qui nuisent à la société humaine, et y trouve, par un génie exceptionnel, un baume intellectuel. 

Son livre devient, alors, une arme à feu, chargée, presque en vrai, contre les maux de la société, et non contre la société. Car, en fin de compte, l’écrivain fait partie de la société humaine, et son rôle, joué à travers son livre publié, ne serait plus que salutaire.

C’est pourquoi, une société qui désacralise ses écrivains, surtout ces authentiques penseurs utilitaires, constamment en lutte d’esprit, constructeurs infatigables de visions humaines généreuses, ne se rend pas service : elle se tire, elle-même, des balles brûlantes dans son propre corps.

*Sylvain Takoué, 

Écrivain ivoirien 

Homme politique en exil,

Et candidat à la présidentielle 

Ivoirienne de 2025.

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