Ces jours-ci, le chef de l’Etat ivoirien a reçu à Abidjan son homologue gabonais, Brice Oligui Nguema, président de la transition et tombeur de la dynastie des Bongo, avec qui il a eu un long entretien. La presse ivoirienne s’en est fait largement l’écho, surtout celle proche du pouvoir ivoirien, qui a utilisé de nombreux qualificatifs à l’endroit du chef de l’État ivoirien, voyant en lui le sage qu’on vient de loin consulter. Mais pour les autres, c’est une véritable scène surréaliste qu’il a été donné de voir.
On comprend difficilement que le chef de l’État ivoirien qui abhorre les coups d’États, puisse s’entretenir avec un homologue arrivé au pouvoir par le biais d’un coup d’État. On se rappelle que le chef de l’État ivoirien a activement manœuvré au sein de la Cedeao pour que le Mali des colonels soit mis sous embargo du fait du coup d’État, de même que le Niger (…).
Alors de nombreuses questions taraudent l’esprit de nombre d’Ivoiriens. Quelle différence y a-t-il entre les coups d’État perpétrés au Mali, au Burkina Fao, au Niger et celui perpétré au Gabon ? Pourquoi stigmatiser les nouvelles autorités du Mali, du Burkina Faso et du Niger et adouber celui du Gabon ?
Pourquoi prodiguer des conseils au chef de l’État gabonais à l’effet de mener à bien sa transition, sans jamais mentionner le retour au pouvoir d’Ali Bongo et menacer les autorités du Niger d’intervention militaire ? C’est à y perdre son latin. Il y a donc de bons coups d’État qui méritent d’être soutenus, et des mauvais coups d’État qu’il faut combattre à tout prix, pour éviter que ceux-ci ne fassent tâche d’huile.
Ou on abhorre tous les coups d’État et on les condamne tous, ou les tolère tous et on s’en accommode
Cette démarche incohérente, qui est un double standard qu’on s’explique difficilement, déroute tout le monde. Ou on abhorre tous les coups d’État et on les condamne tous, ou les tolère tous et on s’en accommode. Mais peut-on objectivement s’étonner de cette position du chef de l’État ivoirien ? Assurément non. À l’observation, la position du chef de l’État ivoirien, et par-delà celle de la Cedeao, épouse parfaitement le contour de la position française relativement aux coups d’État en Afrique ces derniers temps.
On a souvenance que les autorités françaises, n’ont eu de cesse de traiter le nouveau pouvoir malien d’illégitime, parce qu’ « issu de deux coups d’État ». Elles n’ont eu de cesse à s’adresser au pouvoir malien avec une discourtoisie déconcertante. Elles ont encouragé la Cedeao à mettre le Mali sous embargo, tout en ralliant à elles l’Union européenne, à l’effet de tordre le bras à Assimi Goïta.
Elles refusent de reconnaître les nouvelles autorités nigériennes, et ont vainement poussé la Cedeao dans le dos pour que celle-ci intervienne militairement au Niger. Cela aurait éte l’occasion et l’aubaine rêvée pour faire intervenir leurs forces alors encore présentes au Niger, et en finir avec le pouvoir de Tiani, sous le couvert de l’organisation sous-régionale.
Pourquoi faire « l’étranger qui pleure plus fort que la famille du défunt » ?
À l’opposé, ces autorités françaises n’ont jamais condamné le coup d’État qui a porté au pouvoir Deby fils au Tchad. Tout au contraire, elles portent ce pouvoir à bout de bras. On ne les a non plus entendues dénoncer avec la véhémence qu’on leur connait, la prise de pouvoir illégale de Brice Oligui Nguema au Gabon.
Mais cela se comprend. Les États n’ont pas d’amis, mais ont des intérêts. Et la réaction des autorités françaises est fonction des intérêts de la France. Ce qu’on comprend moins, c’est la réaction des chefs d’État de la Cedeao à suivre servilement la position française. Que tirent les Ivoiriens de l’embargo imposé hier au Mali et au Niger ?
Quel intérêt y a-t-il, à aller guerroyer au Niger pour ramener Mohamed Bazoum au pouvoir, là où les Nigériens dans leur majorité, soutiennent leurs nouvelles autorités, et où le sort de Bazoum est le cadet de leur souci ? Pourquoi faire « l’étranger qui pleure plus fort que la famille du défunt » ?
Mais pour de nombreux Ivoiriens, la donne est simple. C’est ce qu’ils résument dans cette assertion issue de leur humour caustique : « chimpanzé, y a pas son rouge, chimpanzé c’est chimpanzé ». Cela pour dire qu’il n’y a pas de bons coups d’États et de mauvais coups d’État. Un coup d’État est un coup d’État. On les condamne tous ou on les tolère tous. Ainsi va l’Afrique. Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.
NAZAIRE KADIA
Analyste politique