C’est une figure lisse de l’Histoire du 20e siècle, comme du marbre froid. Presque comme un mythe. Ni ange ni démon de son temps ? Son destin, en tout cas, fut étrange.
Léopold Sédar Senghor, de son vivant, avait écouté le bon vieux Platon, on peut le dire ainsi. Car il a appliqué pour lui-même la maxime de ce penseur grec antique : celle du roi philosophe, et du philosophe roi.
Sous l’éclairage de cette pensée lumineuse, Senghor fut un prince éclairé et un intellectuel fait prince. Il fut tour à tour agrégé africain en grammaire française, poète noir d’expression française, membre africain de l’Académie française, député français africain, ministre français africain, défenseur africain de la cause des Noirs, à travers le mouvement de la Négritude, et premier président de son pays, le Sénégal, ancienne colonie française.
Époux africain d’une Française, c’est à Verson, en Normandie, dans le Nord de la France, qu’il habita avec elle, après ses fonctions présidentielles, et c’est là-bas, qu’il est mort le 20 décembre 2001. Ses contemporains africains rugueux, surtout ceux qui le voyaient comme une hérésie personnifiée, tels que le poète, écrivain et philosophe ivoirien Jean-Marie Adiaffi, ou encore l’écrivain nigérian Wole Soyinka, le voyaient certes comme une figure emblématique, mais une figure des plus controversées.
Aucun officiel politique ni autre, de la France, n’est venu assister à ses obsèques au Sénégal où sa depuille mortelle fut transférée
Pour d’autres, circonspects, il fut à la fois respecté et incompris. Respecté, pour ses immenses acquis à la fois politiques (car il Senghor fut député, ministre et président de la République), et intellectuels, puisqu’il fut en même temps aussi un immense poète, grammairien, académicien, et figure de proue de la Négritude.
Ce que l’Histoire retient pourtant de lui, est que Senghor a eu le syndrome de Stockholm : en même temps qu’il combattait idéologiquement le colonialisme français, par l’arme de la pensée négritidienne, il tomba amoureux de la France, au point d’épouser une Française, et de servir corps et âme la culture française.
À sa mort cependant, en 2001, aucun officiel politique ni autre, de la France, n’est venu assister à ses obsèques au Sénégal où sa depuille mortelle fut transférée. Même le socialiste Lionel Jospin a refusé de s’y rendre. Étrange destin, en effet, que celui de ce président africain francophile et francophone du 20e siècle…