Culture et société
DOSSIER/ Danané: On produit mais on a faim; tout sur le scandale vivrier qui frappe les populations de plein fouet
Danané, gigantesque grenier du vivrier du Tonkpi et de la Côte d’Ivoire, traverse des moments identiques à ceux connus dans un passé récent. Celui des crises militaro-politiques du pays, qui firent du Tonkpi le far-west ivoirien.
Depuis la crise post-électorale de 2010-2011, la cherté de la vie en Côte d’Ivoire va crescendo. Par son impact sur la population, la vie chère constitue une réelle menace sur l’alimentation et le mode de vie des populations. Nourrir des gosses et assurer l’équilibre de la famille deviennent des équations difficiles à résoudre du seul fait de la flambée du prix qu’affichent les denrées alimentaires sur le marché.
Le carburant, le cauchemar de trop
Depuis 2011, le citoyen moyen a du mal à se nourrir convenablement. La bourse de la ménagère s’apparente désormais à un long récipient fait de filet qui est incapable de retenir la moindre goutte. En Côte d’Ivoire, dans la seule année de 2018, le prix à la pompe de l’essence sans plomb, a augmenté quatre fois. Le 1er septembre de cette
année-là, un litre de super a coûté 620 francs CFA, contre 580 francs CFA en Novembre 2017. Ces augmentations successives qui ont, hélas, continué leur marche perverse, inquiètent les consommateurs et accentuent leur ras-le-bol. Depuis le mois de février 2023, ce sont 180 FCFA qui ont été mis sur le prix du litre d’essence super sans plomb, 80 FCFA pour le pétrole lampant et 40 FCFA pour le gasoil.
Dans le Tonkpi, l’augmentation successive du prix des produits pétroliers est depuis ces treize dernières années la porte ouverte à toute sorte de surenchère. Le kilogramme de riz de sac est passé de 250 FCFA à 600 FCFA depuis 2023. Le sucre, l’huile, le lait, le savon connaissent le même sort. Tous les prix des produits de grande consommation sont passés en moins de vingt ans du simple au double. Sans que les questions liées au chômage des jeunes trouvent des solutions durables.
Sur le terrain, le ticket de voyage connaît des hausses allant de 2000 FCFA à 5000 FCFA. A titre d’exemple, le ticket de voyage de Danané à Abidjan qui était jusqu’en 2016, de 6000 FCFA, est aujourd’hui fixé à 9100 FCFA. De l’autre côté, Abidjan-Danané coûte 10100 FCFA en frais de transport à la gare.
La hausse du prix du carburant fait le malheur des consommateurs et des producteurs de vivriers
A Danané, le coût des produits agricoles destinés à l’alimentation est hors de portée du citoyen moyen. La boîte de tomate remplie de graines de palme, est passée de 250 Fcfa à 500 FCFA. Les tas de gombo et d’aubergines de 50 FCFA, n’existent plus. Dame Kessia Hortence, revendeuse de produits alimentaires, explique.
« Avant, le sac de banane plantain nous revenait avec le transport compris au maximum à 6000 FCFA ou quelques fois, 7000 FCFA. Aujourd’hui, avec le mauvais état des routes et le transport, ce même sac revient à 11000 FCFA ou 12000 FCFA. Pourtant, le cycle ne s’arrête pas là. Il y a la mise en sac, faite qu’on paye à 200 F le sac.
À cela, viennent s’ajouter les frais de magasin, le chargement et le transport du sac qui est de 2500 Fcfa pour Abidjan. Pour que la banane quitte la brousse pour Abidjan, nous dépensons en moyenne entre 15000 FCFA et 16000 Fcfa parce qu’il y a les tracasseries routières que nous subissons. Nous nous retrouvons avec seulement 1000 FCFA comme bénéfice. Il arrive que nos camions restent bloqués à des corridors et nos denrées pourrissent. Nous sortons de beaucoup de voyages les larmes aux yeux», confie la vendeuse.
Quand la sous-région affame les populations de Danané
La première augmentation des prix des produits de première nécessité en décembre 2010, avait déjà suscité une timide réaction de la part des consommateurs, notamment des femmes qui connaissent plus que quiconque, les réalités du marché et celles de leur famille. Dans les grandes métropoles, la désillusion est de taille.
À l’intérieur du pays, du fait de leur manque d’organisation, les femmes subissent la loi du marché. En plus des difficultés d’approvisionnement, dues au mauvais état des routes, les braves commerçantes de Danané disent être victimes des femmes venant des pays limitrophes tels que le Libéria, la Guinée, la Sierra Leonne et le Mali.
Le Canton Gouroussé, dans la sous-préfecture de Daleu, reconnu comme étant la zone productrice de vivriers dans le département et même dans la région du Tonkpi, broie du noir. Là-bas, les groupements de femmes peinent à afficher le sourire. Faute de voies praticables, leurs produits sont vendus à vil prix.
Dame Élisabeth T, à la tête d’une association de femmes à Zoupleu, village situé à 64 kilomètres de Danané, explique: « Les femmes de mon groupement font souvent 6 hectares ou 10 hectares de banane. Mais à cause de l’état de la route, nos produits restent dans nos mains. Nous sommes obligées de les liquider. Ils nous prennent 8 ou 10 bananes à 25 FCFA».
Pour les cadres de la tribu Yézé, la question de la route reliant Danané à Zoupleu ou Zérégouiné, est sérieuse. « C’est le nerf de notre malheur», pensent-ils, avant d’ajouter : «Nous avons de la peine pour les femmes du Yézé. Elles travaillent avec acharnement pour rien. Leurs produits pourrissent sans jamais sortir d’ici. Comment atteindront-elles leur autonomisation ?», s’interroge un cadre de la région.
A l’entrée du village, gît un impressionnant tas de manioc pourri. Un tas estimable à 10 tonnes de manioc. La Présidente du groupement précise : « En pareille saison pluvieuse, les Guinéens arrivent par Sipilou, pour acheter nos productions. Le prix est trois fois mauvais. Mais que faire ? Quand ils ne viennent pas, le stock connait ce sort».
Un tableau obscur du secteur du vivrier qui, selon Yahoueu Félix, ne profite qu’aux pays voisins. « Guinéens et Libériens ont à Danané comme à Daleu, des intermédiaires à qui des gros moyens sont remis pour leur faire des stocks importants de banane, de piment, de tarots et de placali. Notre malheur leur profite », se désole cet habitant.
Dame Diabaté Rachelle, Conseillère municipale, révèle un flux de personnes étrangères dans le secteur du vivrier. « C’est déplorable pour nos femmes de Danané. Les pauvres producteurs souffrent beaucoup. Aucune structure ne réglemente leur activité. Avec les contacts des autres pays et des nationaux venus d’autres régions, nos sœurs ne parviennent pas à se réaliser. Le faisant, Danané qui était un grand carrefour commercial se vide peu à peu. Finalement, le marché de Danané est devenu plus cher que Yamoussoukro et Abidjan. Toute la production va ailleurs», déplore-t-elle.
Dans le marché, les tas d’aubergines et de tomates sont clairsemés. Dame Dopou B. accuse : « Ils ont laissé les Libériens, les Guinéens, les Sierra-leonais nous prendre notre marché. Piment va au Libéria. Le tarot, le gombo, la banane, tout va dans ces pays. On a faim ! Pourtant Danané produit beaucoup de vivrier. La vie est chère. Le marché est cher. Dans çà, la nourriture est rare. On ne peut plus manger à notre faim».
Au grand marché, à proximité de l’ancienne antenne de CI-Telecom, deux camions chargent des sacs d’oignons, du placali et du piment avec pour le destinations le Libéria et la Guinée. L’animation y est toujours particulière.
Les pouvoirs publics accusés de laxisme
Accusant les autorités de choisir délibérément de faire flamber les prix des denrées alimentaires sur le marché de Danané, des actrices de ce secteur pointent le doigt accusateur sur l’Etat et la Mairie. Pour elles, ces structures regardent sans rouspéter.
Selon l’institutrice B. Juliette, la libre circulation des biens et des personnes est mal comprise en Côte d’Ivoire. «Tout ne peut être bradé dans un pays sans aucune réglementation ! C’est seulement en Côte d’Ivoire que la politique préoccupe plus que le ventre de ceux qu’on gouverne. On peut mourir de faim. Ils s’en fichent ! Tout est cher sur le marché. Même le tas de piment. Avec la déforestation, que deviendrons-nous ? Les forêts classées ont disparu au profit des champs de cacao des gens venus d’ailleurs. L’État a démissionné», déplore-t-elle, outrée, avant d’ajouter que cette crise aura un impact significatif sur la vie socio-économique à Danané et dans le reste du pays.
Le riz, aliment de base des Ivoiriens, demeure hors de portée dans la plupart des foyers. Pendant ce temps, la politique gouvernementale ne garantit pas ce droit exclusif des nationaux de produire et de jouir de cette production.
Dans un tel environnement de pauvreté, la paix et la cohésion sociale sont compromises et durement affectées. Ne dit-on pas que ventre affamé n’a point d’oreille ? Souhaitons vivement que des solutions idoines, soient vite trouvées pour alléger les souffrances des braves productrices du vivrier et mettre un terme à la cherté exacerbée de la vie à Danané.
Par Sony WAGONDA