Une fois encore, la hiérarchie de l’Eglise Catholique de Côte d’Ivoire, par la voix de Mgr Marcellin Yao Kouadio, vient de produire une déclaration interpellant le gouvernement et les hommes politiques ivoiriens, à mettre tout en œuvre pour arriver à des élections apaisées, inclusives et justes pour tout le monde. Comme il fallait s’y attendre, ce message a provoqué un véritable séisme dans le microcosme politique ivoirien, sur les réseaux sociaux, et les journaux n’étaient pas en reste. Diversement apprécié, ce message n’a laissé aucun ivoirien indifférent.
Si l’opposition l’applaudit des deux mains parce que reprenant la quasi-totalité de ses revendications, le parti au pouvoir et ses soutiens objectifs le fustigent, et les militants du RHDP accusent l’Eglise Catholique de faire de la politique au lieu de s’occuper de religion.
Il n’y a qu’à voir la « Une » de certains journaux proches du pouvoir pour s’en convaincre.
Morceaux choisis :
– L’Essor: les évêques prennent la tête de l’opposition.
– L’Intelligent: une accusation sans confession
C’est une véritable volée de bois verts qui s’abat sur l’Evêque de Daloa et par-delà sur l’Eglise Catholique là où on était en droit d’attendre une contradiction et une déconstruction des affirmations du prélat, preuves à l’appui. Ces différentes réactions, nous confortent à l’idée que le message est passé et bien passé.
C’est aussi le lieu de signaler que ce n’est pas la première fois que l’Eglise Catholique intervient d’une façon ou d’une autre dans le débat politique du pays. Toutefois qu’elle estime qu’une situation peut mener à la déchirure du tissu social ou conduire le pays droit au mur, elle n’hésite pas à tirer la sonnette d’alarme. Elle a toujours été dans une constante à des variations près, dans ses prises de position.
Rappel pour les ivoiriens nouveaux
A titre de rappel pour les ivoiriens nouveaux. Au début des indépendances, et précisément en 1963, alors que battait le plein des faux complots qui ont permis d’embastiller ceux qu’on pensait être des opposants, et que la peur régnait sur le pays, Mgr Bernard Yago n’a pas hésité à s’illustrer. Il a prié sur le corps de M. Ernest Boka, ministre puis président de la Cour Suprême qui se serait suicidé dans sa cellule.
Malgré l’interdiction, Mgr Yago n’a pas hésité à dire la prière sur le corps du défunt, envoyant un message subliminal pas difficile à décrypter : il ne croyait pas à la thèse du suicide, et c’était sa façon de protester. Cela lui a valu d’être traité de « fétichiste en tiare » par Houphouët-Boigny.
Sous la gouvernance de M. Henri Konan Bédié, au plus fort de l’antagonisme entre M. Bédié et M. Ouattara, toute la hiérarchie du RDR fut embastillée et un mandat d’arrêt international fut lancé à l’encontre de M. Ouattara. Le clergé catholique ivoirien ne fut pas aphone. Il a dans un message, demandé la libération des prisonniers politiques, et partant de toute la hiérarchie du RDR emprisonnée.
Il a prôné un climat d’apaisement pour préparer les élections de 2000, en exhortant le pouvoir d’alors d’écouter son opposition et de discuter en toute sincérité avec celle ci. En 2010, au sortir de l’élection présidentielle contestée, le Conseil Constitutionnel, seul organe habilité à donner les résultats définitifs des votes chez nous, et dont la décision ne peut faire l’objet de recours, a proclamé M. Gbagbo vainqueur de ladite élection.
D’où vient que le pouvoir Rhdp doit être aujourd’hui l’exception?
Si nombre de membres du clergé catholique avait pris acte de cette décision, des voix discordantes se firent entendre. Qui ne se souvient pas des homélies de l’Abbé Wadjas?
Qui ne se souvient pas de ses sorties dans les journaux. Mgr Lézoutier, Evêque de Yopougon n’était pas en reste et était très prolixe. Il a même qualifié la victoire de M. Gbagbo de «triste » lui demandant de quitter le pouvoir.
Il a en outre ajouté que la défaite de M. Gbagbo en 1990 devant le président Houphouët-Boigny était plus honorable que cette « obscure victoire » de 2010. Tous ces rappels pour montrer que d’une façon ou d’une autre, l’Eglise Catholique a toujours eu un message pour les hommes politiques dès lors qu’elle sent un danger poindre à l’horizon. Et l’appréciation qu’on en fait dépend de l’angle dans lequel on se situe.
D’où vient que le pouvoir Rhdp doit être aujourd’hui l’exception? Le clergé catholique a le droit de parler, le clergé doit parler, le clergé catholique parlera car le clergé ne se trouve pas en dehors de la société. Si les autres confessions religieuses ont choisi le silence d’accommodation, c’est aussi leur droit et personne ne leur en voudra et que bien leur fasse! Ainsi va le pays. Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.
Par NAZAIRE KADIA