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Affaire "Journées d'hommage au chef de l'État"

Eco et politique

Affaire « Journées d’hommage au chef de l’État »/ NAZAIRE KADIA: « Il n’est pas nécessaire d’être reconnaissant à qui que ce soit, pour des investissements issus des impôts des uns et des autres »

La Côte d’Ivoire est un pays merveilleux. Au moment où on pensait en avoir fini avec certaines pratiques moyenâgeuses comme les journées de reconnaissance et d’hommage au chef de l’Etat, force est de reconnaître que celles-ci ont la vie longue et refusent de mourir de leur belle mort. Au contraire, elles renaissent de leurs cendres, tel le sphinx.

Ainsi, les populations, les cadres et travailleurs des régions du Cavaly, du Tonkpi et du Guemon, sont conviés à une séance de travail le lundi 26 août, par la ministre de la Fonction publique, Anne Oulotto à l’effet de préparer l’organisation d’une ènième journée de reconnaissance et d’hommage au chef de l’Etat pour le grand travail abattu dans les régions susmentionnées.

Nous voilà donc repartis pour une nouvelle série de ces pratiques qu’on croyait désormais reléguées aux calendes grecques. Pour rappel, le dimanche 3 juillet 2022, les populations de l’Agnéby-Tiassa organisaient une cérémonie d’hommage et de reconnaissance au chef de l’Etat, pour la nomination d’un des leurs, M. Pierre Dimba au poste de ministre de la Santé, et la cooptation de M. Adama Bictogo au poste de président de l’Assemblée nationale.

Sous le président Houphouët-Boigny, la nomination d’un ministre donnait lieu à des réjouissances dans son village

Les populations, non plus, n’ont oublié les investissements qui ont été faits dans la région. Tout cela méritait un merci fort et sonore au chef de l’Etat. Ainsi donc, après les populations d’Arrah, les producteurs de café et cacao, et bien d’autres régions, l’heure fut venue pour les populations de l’Agnéby-Tiassa, d’être de la danse, à l’effet de ne pas être taxées d’ingrates et bien plus d’avoir d’autres subsides. 

Il va sans dire que d’autres régions leur avaient emboîté le pas. Tout ceci nous ramène des années en arrière, avec des pratiques et des conceptions d’un autre âge qu’on croyait à jamais révolues. Sous le président Houphouët-Boigny, la nomination d’un ministre donnait lieu à des réjouissances dans son village et dans son département, eu égard au fait que ce ministre porte sur ses épaules, la politique de développement de son département. Il en est le moteur et le catalyseur .

Cette conception était si ancrée, que les régions ou les départements qui n’avaient pas de fils nommés ministres, croyaient que le chef de l’Etat leur en voulait et qu’ils étaient la cinquième roue du carrosse, sur le chemin tortueux du développement. Pour les heureux département et régions dont des fils sont nommés, les réjouissances sont à la hauteur des perspectives de développement qu’ils entrevoyaient poindre à l’horizon. 

« Nous voilà revenus de plain-pied au moyen-âge, avec ces journées de reconnaissance et de remerciements au chef de l’Etat… « 

Dès lors, c’est une énorme pression et un lourd fardeau que doit supporter l’heureux nommé, qui cristallise sur ses épaules, toutes les espérances de bien-être de tout un peuple. On croyait légitimement, en ce 21ème siècle, que ces croyances et ces conceptions surannées et rétrogrades, étaient du domaine de l’histoire ancienne, et qu’une nouvelle orientation a été donnée à travers le développement local. 

Nous voilà revenus de plain-pied au moyen-âge, avec ces journées de reconnaissance et de remerciements au chef de l’Etat, juste parce que des ivoiriens diplômés et compétents ont été promus à certains postes ou que des routes ont étébitumées! Si les heureux nommés, peuvent se réjouir d’être célébrés dans un premier temps par leurs parents, et dans un deuxième temps, montrer à celui qui nomme, toute leur reconnaissance, il n’en demeure pas moins que souvent, ils se mettent dans un engrenage, qui dans un pays de droit, les conduirait dans l’univers carcéral. 

En effet, un ministre ou un directeur nommé, est un ministre ou un directeur de la nation. Il n’est ni pour sa région, ni pour son département, encore moins pour son village. Comme nous l’avons mentionné plus haut, les espérances et les attentes des populations, suite à la nomination d’un des leurs sont si fortes, que le ministre ou le directeur nommé, ne pourra donner de réponses à ces attentes, que s’il s’adonne à des détournements et autres malversations au détriment de son département ministériel ou de sa direction. 

 Il faut savoir raison garder

Le ministre ne dispose pas dans le budget de son département, de lignes prévues, pouvant lui permettre de répondre aux nombreuses sollicitations des siens. Tout investissement massif dans son département ou dans sa région ne peut être que le fruit d’une malversation. Il est temps d’éduquer les populations à l’effet de revoir leur conception du développement. Celui-ci ne peut être l’apanage d’un individu quel que soit le poste qu’il occupe, mais celui de l’Etat. 

A cet effet, des instruments de développement local sont mis en place depuis des années : les mairies, les conseils régionaux et désormais les districts avec des ministres-gouverneurs. Il s’agit pour l’Etat de pourvoir ces instruments de moyens conséquents, pour répondre aux sollicitations des populations dans un esprit d’équité, mu par une politique vraiment décentralisée, qui nous éviterait ces folklores infantilisants. 

Il n’est donc pas nécessaire d’être reconnaissant à qui que ce soit, pour des investissements issus des impôts des uns et des autres et pour lesquels, il a sollicité le suffrage de tous. Le faire équivaudrait à exprimer sa reconnaissance à un guichet automatique de vous avoir sorti votre propre argent. Certes au nom d’un prétendu développement, faire l’âne pour avoir le foin ne semble pas déranger certaines personnes, mais le faire au nom de toute une population qui n’a rien demandé, est vraiment indécent. Il faut savoir raison garder. Ainsi va le pays. Arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.

NAZAIRE KADIA 

Analyste politique

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