Eco et politique
Affaire «Les éternels permanents finissent par agacer (…) Il faut donc savoir partir»: Décryptage d’une leçon universelle de leadership et de sagesse (Par Parfait Kouacou, PhD)
« Le pouvoir est une drogue qui rend fou quiconque y goûte.» Cette observation incisive, attribuée à l’ancien président français François Mitterrand, résume avec justesse le défi auquel sont confrontés les leaders du monde entier. Après avoir occupé les plus hautes fonctions pendant deux mandats de sept ans, Mitterrand avait certainement une compréhension intime des effets enivrants et potentiellement corrupteurs du pouvoir. Savoir partir est donc un art que seuls ceux qui passent de dirigeants à leaders arrivent à maîtriser.
Au cours des derniers jours, j’ai été interpellé par deux leaders qui ont rappelé ce principe avec force. L’un est le cardinal d’Abidjan, Jean Pierre Kutwa. L’autre, John Fry, le président de l’Université Drexel dans l’État de Pennsylvanie aux États-Unis. Venant d’horizons et de milieux radicalement différents – l’un, un éminent dignitaire religieux africain, l’autre, un dirigeant académique américain – ces deux hommes ont pourtant démontré la même sagesse et la même humilité, illustrant une vérité universelle sur l’essence même du leadership.
Chaque année, le gouvernement américain octroie des bourses à 700 jeunes africains pour bénéficier d’une formation en leadership aux États-Unis. Ce programme est connu sous le nom de Mandela Washington Fellowship, des noms de deux leaders admirés de part et d’autre de l’Atlantique. En ma qualité de Directeur Académique de l’Institute du Mandela Washington Fellowship à l’Université Drexel et professeur dans cette même institution, j’ai l’honneur chaque année d’inviter le président Fry à s’adresser aux jeunes leaders africains.
Cette année, son message était clair et puissant : « Il faut savoir partir.» Après 14 ans à la tête de l’université, Fry s’apprêtait à céder son poste et à servir dans une autre institution. Aux jeunes Africains, il expliqua que « l’énergie de la fraîcheur des premiers jours » s’émousse et que l’institution a besoin d’un nouveau souffle. L’histoire de Fry est particulièrement édifiante. Les présidents d’université américains n’étant pas élus, n’ont aucune obligation de quitter leur poste après un délai. Mais Fry s’était résolu à partir après ses dix années de présidence.
Le bon départ n’est pas nécessairement une question de décennie
Cependant, la crise de la COVID-19 a frappé. En leader responsable, il a choisi de rester pour guider l’université à travers cette période tumultueuse. Aujourd’hui, estimant avoir mis l’institution à l’abri, il se sent prêt à passer le flambeau. Cette décision est d’autant plus remarquable que Fry, à la tête de l’université privée Drexel, comptait parmi les dix plus gros salaires de président d’université américaines (au-delà du milliard de FCFA par an) et d’une position stable. Il a choisi de partir, le moment étant arrivé, et d’aller relever de nouveaux défis dans une université publique, probablement avec plus de défis et une rémunération inférieure.
Cependant, le bon départ n’est pas nécessairement une question de décennie. Les récents événements dans les prestigieuses universités de Harvard et de Pennsylvanie, membres de l’Ivy League, nous le rappellent. Deux présidentes ont dû quitter leurs fonctions face à des protestations. Bien que je considère ces protestations comme n’ayant pas dû causer le départ de ces leaders académiques, le départ de celles-ci prouve l’importance de savoir partir quand la situation l’exige.
La présidente de l’Université de Pennsylvanie a choisi de partir rapidement devant les protestations qui ont éclaté dans les universités suite à la guerre entre Israël et la Palestine, tandis que celle de Harvard a résisté, convaincue d’avoir raison. Cette résistance a conduit ceux qui voulaient voir cette femme noire d’origine haïtienne partir de la tête de la plus puissante université du monde, aller chercher dans ses travaux de recherche, et y trouver des irrégularités qui ont finalement précipité sa démission, six mois seulement après sa nomination à ce poste.
Les paroles fortes du cardinal Kutwa
Ces exemples font écho aux paroles du cardinal Kutwa qui, le 3 août 2024, a déclaré : «Il faut savoir partir à l’image des saisons qui se succèdent, partir pour faire place à un autre plus jeune, plus vigoureux, qui ne demande qu’à être mis au service de tous.» Cette leçon s’applique au contexte politique. Cette année, nous avons vu le président du Sénégal initialement résister au renouvellement de la classe politique. En moins de trois mois, non seulement il a fait marche arrière, mais l’alternance s’est opérée de la manière la plus surprenante.
Il faut aussi noter ce qui vient de se passer aux États-Unis où l’actuel président Joe Biden a fini par sortir de la course présidentielle, se faisant remplacer par sa vice-présidente Kamala Harris. Ces exemples nous enseignent que le leadership n’est pas une fin en soi, mais un moyen de servir et d’apporter du changement positif. Que ce soit dans le monde académique, religieux, politique ou des affaires, les vrais leaders comprennent que leur rôle est temporaire et que le renouvellement est essentiel à la croissance et à l’innovation.
Comme le reconnaissent de nombreux observateurs, la véritable grandeur d’un leader réside souvent dans sa capacité à savoir quand il est temps de se retirer, ouvrant ainsi la voie à la prochaine génération pour apporter de nouvelles perspectives et de nouvelles idées. À l’inverse, nous avons trop souvent vu les conséquences négatives de dirigeants s’accrochant au pouvoir bien au-delà de leur «utilité ». Cette obstination ne fait que nourrir la frustration et le ressentiment. Comme l’a justement souligné le cardinal Kutwa, « les éternels permanents finissent par agacer, et l’amour se transforme en haine.»
L’exemple de Nelson Mandela
L’analogie du cardinal Kutwa avec les saisons reste particulièrement pertinente. Tout comme la nature se renouvelle cycliquement, nos institutions et nos sociétés ont besoin de changement pour prospérer. L’alternance n’est pas une menace, mais une opportunité de croissance et de renouveau. Les jeunes leaders africains que j’ai eu l’honneur d’accueillir cette année à Philadelphie ont été surpris de voir que le président de Drexel ne s’enorgueillissait pas face aux succès. «Lorsque je finis une tâche, je ne débouche pas une bouteille de champagne, mais je fais un tour et regarde tout ce qui reste à faire, » leur a expliqué le leader académique.
Cette attitude tournée vers l’avenir et le progrès continu est ce qui distingue les véritables leaders. En fin de compte, savoir partir avec grâce et dignité est la marque d’un véritable leader. C’est une leçon que nos dirigeants, en Afrique et ailleurs, devraient méditer et mettre en pratique. Le renouvellement du leadership n’est pas seulement souhaitable, il est essentiel pour la vitalité de nos institutions et le progrès de nos sociétés.
Nelson Mandela, le leader le plus célèbre du continent africain, n’a été président de l’Afrique du Sud que pour un mandat de cinq ans. Il reste à ce jour un exemple brillant de l’art de savoir partir. Puissions-nous tous apprendre de sa sagesse.
Parfait Kouacou, PhD
Citoyen ivoirien de la diaspora
Professeur à l’Université Drexel
Philadelphie, Pennsylvanie