A mesure qu’on s’achemine vers l’échéance de l’élection présidentielle d’octobre 2025, une fébrilité s’est emparée de certaines autorités ivoiriennes, ministres, présidents d’institutions qui se sont fait le devoir de répondre et de réfuter les critiques de l’opposition ivoirienne. Cela est de bonne guerre. Mais là où le bât blesse, c’est que certaines de leurs réponses laissent perplexe et donnent l’impression que ces autorités manquent d’assurance.
La belle assurance, la belle confiance et la belle certitude, résumées par l’expression «tout est calé, bouclé et géré », qui étaient les leurs depuis des années et précisément avant toutes les élections présidentielles, semblent avoir fait place au doute, à l‘incertitude et à la confusion, surtout qu’il n’est pas encore acquis que le président du Rhdp sera sur le starting-block pour un quatrième mandat.
Cela induit un comportement de tribu assiégée et les conduit à donner des répliques à l’emporte-pièce, pour éviter que les critiques des tenants de l’opposition ne sèment le doute et la confusion dans l’esprit des ivoiriens. C’est à l’aune de cette situation qu’il faut lire l’illustration du ministre Amédée Kouakou, quand il a jugé bon de répondre au président du Pdci-Rda, Tidjane Thiam, après la déclaration qu’il a faite au cours du meeting organisé par le Pdci-Rda à Soubré, le 22 juin 2024.
Au cours de ce meeting, entre autres sujets abordés, le président Thiam parlant du mal-vivre et du mal-être des Ivoiriens, a révélé qu’au plan de l’indice du développement humain, en un an, la Côte d’ivoire est passée de la 159ème à la 166ème place sur 193 pays dans le monde. Cette déclaration du président du Pdci-Rda a provoqué l’ire du ministre Amédée Kouakou, ci-devant ministre de l’Equipement et de l’Entretien Routier.
Dans un meeting à Divo, celui-ci a tenu à apporter la réplique à Tidjane Thiam. Dans un langage typiquement ivoirien, il a chargé son auditoire d’aller dire à Tidjane Thiam, relativement à l’Idh, qu’on « fait rien avec ça ». Cette déclaration d’un membre du gouvernement a de quoi surprendre et conduit à de violentes questions. Le ministre a-t-il parlé en son nom ? Où est-ce la position officielle du gouvernement relativement à l’Idh?
La déclaration du ministre Amédée Kouakou est une insulte à l’intelligence des Ivoiriens…
Si le gouvernement ne « fait rien avec l’Idh », sur quel indicateur s’appuie-t-il pour ajuster sa politique sociale (si tant est qu’il y en a) afin de permettre aux Ivoiriens de bien vivre ? Ou alors suffit-il que ces Ivoiriens soient en extase devant la plus « haute tour » d’Afrique, pour que leurs préoccupations existentielles trouvent des réponses ? Ou suffit-il encore qu’ils effectuent le « pèlerinage » sur le cinquième pont, les jours fériés, en admirant sa beauté pour avoir des médicaments disponibles, des soins gratuits dans les hôpitaux et pouvoir chanter des litanies à la gloire du chef de l’Etat ?
Et pendant ce temps, la réalité est là, implacable. Depuis quelques années, le quotidien des ivoiriens rime avec souffrance. Même si on tente de les convaincre que plus ils souffriront, plus ils seront heureux. Ils doivent faire face à des défis majeurs pour survivre dans un pays où s’offrir deux repas par jour est un luxe. De ce fait, la déclaration du ministre Amédée Kouakou est une insulte à l’intelligence des Ivoiriens, même si son intention était de contredire le président du Pdci-Rda.
Autre lieu, autre déclaration. Il est de notoriété publique, qu’en ces temps préparant à la précampagne de la présidentielle d’octobre 2025, la Commission Electorale Indépendante (Cei) comme toujours, est sur la sellette. Non seulement l’opposition conteste sa composition déséquilibrée, demande toujours une réforme en profondeur, et surtout l’accuse de ne pas être à équidistance de toutes les chapelles politiques.
Quelle est cette propension qu’ont nos gouvernants à toujours vouloir ridiculiser ceux qui ne sont pas d’accord avec eux ?
En outre, la structure en charge des élections est accusée de laisser dans la liste électorale, de nombreuses anomalies constatées par l’opposition lors des contrôles que celle-ci a effectués. Il s’agit entre autres, de la présence de noms de personnes décédées depuis des années et des centaines d’électeurs ayant une même mère.
En réponse à la première critique, le président de la Cei a bien affirmé que les morts ne votent pas. Cela est plus qu’une évidence sur le principe. Mais pourquoi alors laisser ces noms grossir la liste électorale sans les extirper ? En outre, l’inquiétude de l’opposition réside dans le fait que si les morts ne votent pas, des vivants peuvent bien voter pour ces morts. On a vu à plusieurs élections, des individus munis de plusieurs cartes d’identité passer de bureaux de vote en bureaux de vote, distribuer des cartes d’identité sans qu’on ne sache si ceux qui les reçoivent en sont les propriétaires.
Qui dit que ces individus ne votent pas à la place des morts ? Pourquoi le souci du président de la Cei ne serait pas d’œuvrer à l’effet que toutes les suspicions à tort ou à raison, exprimées à l’endroit de son institution puissent se dissiper ? Qu’est-ce que cela coûte de faire en sorte que tout le monde ait une véritable confiance en l’institution, pouvoir et opposition réunis ?
Quelle est cette propension qu’ont nos gouvernants à toujours vouloir ridiculiser ceux qui ne sont pas d’accord avec eux ? Plutôt que de chercher à convaincre leurs interlocuteurs avec des arguments sans parade, leur souci est de les vaincre, juste parce qu’ils ont entre leurs mains les leviers de l‘Etat. Ainsi va le pays. Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.
NAZAIRE KADIA
Analyste politique.