Alors que l’Indice de Développement Humain (IDH) place la Côte d’Ivoire à une 159ème place mondiale peu glorieuse, les commentateurs proches du pouvoir appellent à la rescousse le rapport 2024 de l’Indice Ibrahim de la gouvernance en Afrique (IIAG). Cet indice n’est pourtant pas un arbitre de complaisance.
Créé par la Fondation Mo Ibrahim, il s’est imposé comme une référence rigoureuse pour évaluer la gouvernance en Afrique, analysant des critères tels que la sécurité, l’état de droit, la participation citoyenne et le développement économique de 54 pays, en s’appuyant sur 49 sources de données différentes. Le recours précipité à l’IIAG rappelle étrangement ces matchs de football africain où l’équipe locale, menée au score, réclame un changement d’arbitre.
La différence ici ? L’arbitre IIAG est reconnu pour son intégrité sans faille. Voyons donc ce que dit réellement ce rapport que certains espèrent plus clément.
Une 16ème place dans le ventre mou de la classe
L’IIAG 2024 nous apprend que la Côte d’Ivoire conserve sa 16ème place sur 54 pays africains, avec un score de 56,7 sur 100. Un maintien de position qui évoque ces élèves qui, satisfaits d’avoir la moyenne, oublient qu’ils restent toujours dans le ventre mou de la classe. Comme dirait un ami : « Ce n’est pas parce qu’on ne recule pas qu’on avance. » Cela est d’autant plus préoccupant pour la Côte d’Ivoire, qu’elle a contracté une dette si immense que les résultats obtenus restent insuffisants.
En effet, la dette publique continue de croître, atteignant 64 % du PIB en 2023, sans que des améliorations significatives ne soient visibles pour la majorité des citoyens. Le pays semble pris dans une spirale de dépenses sans impact tangible sur le bien-être de la population.
L’IDH: Une ascension à pas de tortue
L’évolution de l’Indice de l’IDH raconte une histoire peu reluisante qui explique le recours précipité au rapport IIAG. En 2021, la Côte d’Ivoire est sortie de la catégorie « IDH faible » avec un score de 0,550 — une amélioration qui rappelle ces moments où l’on se réjouit d’avoir perdu un kilo après les fêtes, tout en oubliant qu’on en avait pris cinq.
Car oui, être 159e sur 191 pays, c’est comme si le gouvernement voulait être félicité pour avoir achevé la construction du premier niveau d’un immeuble là où les moyens déployés auraient dû en construire dix.
En dépit de s’autocélébrer pour un résultat insuffisant, la Côte d’Ivoire reste confrontée à des défis majeurs, notamment en matière d’accès à la santé et à l’éducation, où les indicateurs sont toujours bien en deçà des standards internationaux. Le rapport IIAG lui-même confirme un ralentissement des progrès en matière de développement humain depuis 2019, mettant en évidence un essoufflement inquiétant des efforts entrepris.
Cette tendance est d’autant plus préoccupante que le rapport révèle un effondrement historique des perceptions publiques dans des domaines critiques : -12,4 points pour les opportunités économiques, -10,9 points pour la sécurité, et -9,4 points pour la protection sociale.
Les inégalités font de la résistance
Pendant que certains se félicitent des progrès économiques, les inégalités, elles, persistent avec obstination. L’Indice d’Inégalité de Genre reste obstinément élevé à 0,613, comme un carton rouge qu’on refuse d’admettre. La pauvreté, quant à elle, passe de 39,4 % à 37,5 % — une baisse aussi spectaculaire qu’une réduction de 5 francs sur le prix du pain, là où l’on augmente difficilement le prix d’achat du cacao.
Lorsque Tidjane Thiam, l’ancien CEO de Credit Suisse et aujourd’hui opposant politique, pointe du doigt le recul inacceptable de la qualité de vie dans le sud-ouest et l’ouest du pays, des membres du gouvernement rétorquent avec désinvolture « On ne mange pas l’IDH », comme s’il s’agissait d’un simple débat de rue. D’ailleurs, ce type de discours a déjà trouvé sa réponse dans la rue : « on ne mange pas pont ».
Le rapport économique 2022 rappelle que derrière la « réussite macroéconomique », se cachent de profondes disparités. C’est comme ces photos Instagram retouchées où tout le monde sourit, alors que la réalité est moins rose : 35 % de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté. Les disparités régionales et les difficultés d’accès aux services de base, notamment dans les zones rurales, constituent des obstacles persistants à la réduction de la pauvreté.
Le rapport IIAG 2024 met également en lumière un effondrement des perceptions publiques sur les opportunités économiques (-12,4 points), la sécurité (-10,9 points) et la protection sociale (-9,4 points), révélant des fissures importantes dans la stabilité du pays. Ces chiffres donnent raison aux critiques et font écho au mécontentement populaire qui s’exprime de plus en plus ouvertement.
La démocratie joue à cache-cache
En matière de démocratie, l’indice de gouvernance qui évalue la qualité du leadership politique, le BTI 2024 note un « déclin notable » depuis 2017-2018. Le rapport IIAG enfonce le clou avec une chute vertigineuse dans la participation citoyenne (-4,5 points) et les droits (-2,8 points). C’est comme ces promesses électorales qu’on oublie dès le lendemain des élections.
Les tensions politiques récurrentes, les restrictions sur la liberté d’expression et le manque de transparence électorale continuent de freiner le développement démocratique du pays. Mo Ibrahim lui-même reconnaît la complexité de la situation africaine, comparant le continent à une grande famille où certains enfants excellent pendant que d’autres « montrent des signes préoccupants».
Une façon diplomatique de dire que tout n’est pas au beau fixe, même si certains préfèrent voir le verre à moitié plein — ou carrément vide.
Une analyse plus nuancée
Si l’IIAG 2024, appelé à la rescousse comme arbitre de dernière chance, montre quelques timides progrès pour la Côte d’Ivoire, une analyse plus fine révèle que le pays oscille entre espoirs et défis, comme un danseur de coupé-décalé qui essaie de garder l’équilibre sur une piste savonneuse. Les progrès en matière de croissance économique doivent être accompagnés de réformes structurelles profondes pour réduire les inégalités, améliorer l’accès aux services publics et renforcer la gouvernance démocratique.
À l’approche des élections de 2025, il serait peut-être temps de troquer les lunettes roses contre des verres correcteurs pour voir la situation telle qu’elle est, plutôt que telle qu’on voudrait qu’elle soit. Comme on le dit au village : « Ce n’est pas en répétant que le manioc est du poulet qu’il se mettra à voler. » Même Mo Ibrahim ne pourrait pas prétendre le contraire.
Parfait Kouacou, PhD
Drexel University
Vice-Président Institut de Recherche de la Diaspora Ivoirienne (IRDI) Philadelphie, USA