Une fois encore, les luttes internes de la Fédération Scolaire et Estudiantine de Côte d’Ivoire (Fesci) viennent d’occasionner la mort de deux jeunes gens, encore dans la fleur de l’âge. C’est l’occasion pour nous de nous incliner devant leurs dépouilles, saluer leur mémoire et adresser nos condoléances les plus attristées à leurs familles respectives.
Si on peut déplorer ces morts, comprendre l’émoi que ces morts suscitent au sein de la population ivoirienne, ce qu’on comprend moins est la surprise qui semble être celle des autorités universitaires, du ministère et partant des tenants du pouvoir. Ceux-ci donnent l’impression que c’est seulement aujourd’hui qu’ils découvrent les activités illicites et illégales auxquelles s’adonnait l’organisation estudiantine. Et les dernières décisions prises, les explications données et les commentaires qui ont suivi le confirment aisément.
Il est reproché à la Fesci d’être une milice après qu’on a découvert des armes blanches au Campus de Cocody, et une chambre ou un tunnel qui servait à la torture. Que dire des activités commerciales illicites sur les campus entièrement contrôlées par l’organisation estudiantine ? On vient juste de les découvrir…
On nous apprend également que l’organisation a fait main basse sur un certain nombre de chambres dans les cités universitaires, dont elle encaisse le loyer sans rendre compte à qui que ce soit. On n’oublie non plus de mettre en évidence les autres types de racket auxquels s’adonnait la Fesci.
Pourquoi la Fesci peut-elle disposer de chambres dans les cités universitaires qu’elle gère en dehors des Crou, sans que les directeurs n’élèvent la voix ?
Si on peut se féliciter de ce qu’avec les mesures prises par le gouvernement, les étudiants pourront désormais aller au cours sans craindre la violence qui semble consubstantielle à la Fesci, on ne peut s’empêcher de se poser un certain nombre de questions. Pourquoi tous les directeurs des Centres Régionaux des Œuvres Universitaires(Crou) donnent-ils l’impression que c’est maintenant qu’ils découvrent les agissements et les accaparements de la Fesci au détriment des étudiants ?
Pourquoi la Fesci peut-elle disposer de chambres dans les cités universitaires qu’elle gère en dehors des Crou, sans que les directeurs n’élèvent la voix ? Ces directeurs ne peuvent pas ignorer cet état de fait. Pourquoi s’en sont-ils accommodés sans jamais prendre les mesures idoines pour que cela change ? Ne sont-ils pas eux-aussi responsables de cet état de fait avec les autorités universitaires et tous les ministres qui se sont succédés à la tête de l’enseignement supérieur ?
Lequel d’entre eux ignorait réellement ce qui se passait ? Comment se fait-il que tout ce beau monde donne l’impression de découvrir maintenant ce qui est à la Fesci ? Les langues se sont mises à se délier pour clouer au pilori la Fesci, juste parce que le courage a manqué et que les petits calculs politiciens les ont obligés à s’accommoder des dérives de l’organisation estudiantine.
De qui l’organisation estudiantine a-t-elle obtenu l’autorisation pour la construction de ce siège ?
Tant que la Fesci a à sa tête un responsable qu’on peut contrôler à l’effet que les agissements de celle-ci ne représentent pas un « dérangement », tant qu’on pouvait l’utiliser pour endiguer toutes les velléités de revendications estudiantines qui embarrasseraient le pouvoir, tant qu’on pouvait l’utiliser pour maîtriser la fougue des étudiants et maîtriser ainsi les campus universitaires, on s’est bel et bien accommodé de cette dérive qu’on dénonce aujourd’hui.
C’est pourquoi, de nombreux ivoiriens se posent la question de savoir à quoi répond la destruction du siège en construction de la Fesci. De qui l’organisation estudiantine a-t-elle obtenu l’autorisation pour la construction de ce siège ? Si cette construction est illégale, à quoi répond alors la contribution financière du ministre de tutelle à cette opération, telle que rapportée par des journaux ? C’est à y perdre son latin !
Au-delà de ce qui semble être une découverte pour certains, des esprits retors et des soutiens objectifs du pouvoir tentent maladroitement d’incriminer l’opposition et particulièrement le président Gbagbo d’avoir instrumentalisé la Fesci dès sa création, pour la lutte engagée à l’effet d’obtenir du pouvoir d’alors, beaucoup plus d’espaces de liberté.
Depuis 2011, le pouvoir avait la possibilité de prendre les décisions qu’il prend aujourd’hui
Si au regard de l’histoire, on ne peut nier qu’à un moment donné, l’organisation syndicale des étudiants fut proche de Laurent Gbagbo, il est tout aussi juste et bon de rappeler que celui-ci n’est plus au pouvoir depuis un peu plus d’une douzaine d’années et ne peut nullement être comptable de ce qui se passe aujourd’hui.
On ne peut objectivement pas avoir combattu un pouvoir huit années durant, lui reprochant certains maux, et une fois le pouvoir acquis, tomber dans les mêmes travers et s’accommoder d’une situation qu’on a bruyamment dénoncée quand on était dans l’opposition. Certes beaucoup de choses peuvent être reprochées à la Fesci, mais le pouvoir actuel n’est pas exempt de tout reproche.
Depuis 2011, il avait la possibilité de prendre les décisions qu’il prend aujourd’hui. Il donne du grain à moudre à ceux qui estiment que le timing et la célérité avec laquelle les choses sont entreprises à l’encontre de la Fesci, ne sont guère fortuits. 2025 est déjà là ! Ainsi va le pays. Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.
NAZAIRE KADIA