Alors que la candidature de Tidjane Thiam pourrait être invalidée, plusieurs personnalités, dont Emmanuel Macron et Macky Sall, tentent dans le plus grand secret de convaincre le chef de l’État ivoirien de renoncer à une telle manœuvre. Déjeuner à Mougins, appels téléphoniques… Africa Intelligence révèle la teneur de ces échanges.
L’échange n’a fait l’objet d’aucune communication officielle. Le président français, Emmanuel Macron, et l’ancien chef de l’État sénégalais Macky Sall se sont entretenus le 27 mars. L’ex-président, actuellement dans le viseur du nouveau pouvoir sénégalais de Bassirou Diomaye Faye, qui lui reproche d’avoir transmis des données falsifiées au Fonds monétaire international (FMI, AI du 15/01/25), a brièvement évoqué ses ennuis personnels. Mais c’est en réalité un tout autre sujet s’est invité dans la discussion : l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, prévue au mois d’octobre.
À sept mois du scrutin, dans un climat préélectoral très tendu, Paris craint que plusieurs candidatures soient invalidées. Parmi elles, celle de l’opposant et patron du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Tidjane Thiam, au cœur depuis plusieurs semaines d’une vive polémique autour de sa nationalité, susceptible de l’empêcher de concourir.
Un scénario auquel s’oppose Emmanuel Macron. Ce dernier juge que la mise à l’écart de l’ex-patron du Crédit suisse de la course à la magistrature suprême ivoirienne serait un très mauvais signal. Attaché à l’inclusivité du scrutin, le président français a plaidé auprès de Macky Sall pour qu’ils coordonnent leurs efforts afin de dissuader Alassane Ouattara d’opérer une telle manœuvre.
Une discrète visite
En dépit de quelques réserves, l’ex-président sénégalais, qui a lui-même renoncé à briguer un troisième mandat en 2024, s’est montré réceptif aux arguments de son interlocuteur français. Au cours des derniers mois, Macky Sall a par ailleurs été en contact avec une poignée de proches de Tidjane Thiam, dont le père, Amadou Thiam, est né au Sénégal.
Auprès d’Emmanuel Macron, Macky Sall s’est ainsi montré « disposé » à évoquer le cas de l’opposant ivoirien avec Alassane Ouattara, sans pouvoir néanmoins garantir de le convaincre. Il a précisé au locataire de l’Élysée qu’il devait s’entretenir avec le président ivoirien le lendemain et qu’il évoquerait le sujet avec lui.
Le 28 mars, l’ancien président sénégalais s’est donc très discrètement rendu dans la résidence d’Alassane Ouattara à Mougins (Alpes-Maritimes), où séjournait le chef de l’État ivoirien.
Autour d’un déjeuner, Macky Sall a évoqué sans ambages son échange de la veille avec Emmanuel Macron. Il lui a ainsi signifié le souhait de Paris de voir la tenue d’un scrutin « inclusif », dont un des principaux critères serait la possibilité pour Tidjane Thiam d’y participer.
Lui-même sous pression de l’Union européenne (UE) et de Washington après avoir repoussé d’un mois la date de l’élection présidentielle sénégalaise en 2024, Macky Sall s’était finalement résolu à faire plusieurs gestes d’apaisement envers l’opposition. Parmi ceux-ci, il avait consenti à la libération de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko, alors incarcérés à Dakar, deux semaines avant le vote.
Les recommandations d’Emmanuel Macron transmises par l’intermédiaire de l’ex-président sénégalais ont néanmoins causé une certaine gêne chez Alassane Ouattara, qui goûte peu les immixtions extérieures concernant le cas de Tidjane Thiam. En janvier, son ami depuis plus de trente ans Nicolas Sarkozy avait lui-même suscité son agacement à l’évocation de l’ancien patron du Crédit suisse, que l’ex-président français avait rencontré quelques semaines plus tôt à Paris (AI, 12/03/25).
Une manœuvre jugée disgracieuse
Depuis plusieurs années, la proximité supposée d’Emmanuel Macron avec Tidjane Thiam alimente une paranoïa aiguë au sein du premier cercle d’Alassane Ouattara. Lors de l’élection présidentielle de 2020, le sujet avait créé des premières tensions entre Paris et Abidjan. Au lendemain de sa victoire, Alassane Ouattara avait même, lors d’un échange téléphonique, tenté de confronter le président français.
Il avait exhibé l’enregistrement d’une conversation captée par les services du renseignement ivoirien entre l’ancien chef de l’État Henri Konan Bédié et Tidjane Thiam, dans laquelle ce dernier se prévalait d’être en contact avec Emmanuel Macron (AI, 10/11/23). Une manœuvre qui avait été jugée particulièrement disgracieuse par l’Élysée.
Depuis plus d’un an, Alassane Ouattara refuse de recevoir Tidjane Thiam en dépit de plusieurs demandes formulées par l’actuel candidat à l’élection présidentielle. Ces dernières semaines, les tensions sont encore montées d’un cran entre les deux hommes.
La sortie mi-mars de Tidjane Thiam sur le « non-respect de la Constitution » par Alassane Ouattara a ainsi provoqué l’ire du président ivoirien. En coulisses, l’entourage de l’opposant politique est désormais persuadé que la candidature de Tidjane Thiam sera prochainement écartée.
Si en privé le premier cercle d’Alassane Ouattara se montre très dur à l’égard de Paris sur le cas Tidjane Thiam, le président ivoirien dissimule particulièrement bien sa colère lors de ses échanges avec Emmanuel Macron.
Deux jours après son déjeuner avec Macky Sall, Alassane Ouattara a ainsi téléphoné au président français dans la soirée du 30 mars. Un appel qui s’est tenu à la demande du chef de l’État français, qui voulait souhaiter l’Aïd-el-Fitr à son homologue ivoirien. Si la situation politique en Côte d’Ivoire a été évoquée, Alassane Ouattara n’a à aucun moment fait part de son irritation à l’endroit de Paris.
Source : Africa Intelligence