Ça grogne fort dans la filière halieutique en Côte d’Ivoire. Particulièrement très réservés, les professionnels de ce secteur d’activité prolifique, organisés en syndicats, ont décidé de donner de la voix. Lors d’une rencontre à Cocody avec les médias ivoiriens le mercredi 4 septembre dernier, ils ont exposé leurs nombreuses difficultés.
D’entrée, l’un des membres de ces organisations qui a bien voulu garder l’anonymat comme l’ensemble d’entre eux a crié sa colère. « La situation au port de pêche est devenue critique, plongeant de nombreux acteurs de la filière halieutique dans une profonde inquiétude. Face à cette situation, nous, professionnels du secteur, lançons un appel urgent à l’ensemble des institutions de la République, notamment la Primature, l’Inspection générale d’État et la Haute autorité pour la bonne gouvernance, pour convoquer des États généraux de la filière halieutique », lance-t-il.
En effet, s’ils ont voulu manifester leur mécontentement devant la presse ivoirienne, c’est une manière pour eux est de présenter, à l’en croire, l’état de santé de leur secteur d’activité aux autorités ivoiriennes dont leur Ministère de tutelle, le Ministère des Ressources Animales et Halieutiques (MIRAH), avec à sa tête le Ministre Sidi Tiémoko Touré. Et non d’engager un quelconque bras de fer avec la tutelle. Toute chose qui ne saurait jouer en leur faveur.
Un décret présidentiel ignoré et un secteur en péril
À croiser leurs différents exposés, le secteur halieutique se trouve aujourd’hui dans une situation alarmante en raison du non-respect des directives du Président de la République visant à plafonner le prix du kilogramme de « faux thon » à 400 FCFA. Poursuivant, ils ont fait savoir que ce manquement a provoqué une inflation incontrôlée rendant le « faux thon » plus cher que le poisson exporté vers l’Europe et celui destiné à la transformation dans les usines. Les conséquences sont dévastatrices pour les mareyeurs et les usines. Partant, pour les consommateurs.
Un choix économique désastreux
À ce stade, les interlocuteurs de la presse apprennent qu’une usine avait, à cet effet, alerté les autorités en envoyant un courrier « pour signaler un manque d’approvisionnement causé par la hausse injustifiée des prix qui plongent plusieurs mareyeurs aujourd’hui dans le gouffre. En mélangeant le « faux thon » avec du bon poisson, des armateurs cherchaient à tirer de gros bénéfices. Cette pratique d’ailleurs dénoncée dans une lettre adressée au ministère de tutelle pour attirer l’attention de l’État sur la nécessité de prendre des mesures afin d’éviter une crise dans le secteur halieutique ».
Des tentatives de réorganisation entravées
Le plafonnement du prix du kilogramme de « faux thon » à 400 FCFA pour une durée de six mois ayant connu une absence de suivi par un nouveau décret a créé un vide juridique, permettant au plafonnement de persister malgré une augmentation significative des prix. Aujourd’hui, selon ces organisations de la filière halieutique, le kilogramme de « faux thon » se vend à plus de 1.000 FCFA à bord des navires. Une situation intenable pour les mareyeurs et les consommateurs qui a conduit à l’organisation d’un atelier, en septembre 2022, à Grand-Bassam.
Ces travaux avaient réuni les acteurs du secteur pour réfléchir aux solutions à ce blocage. Malheureusement, les recommandations de cet atelier semblent avoir été ignorées, plongeant le secteur dans une confusion totale. La création d’une interprofession née des résolutions dudit atelier, censée regrouper toutes les organisations professionnelles du secteur, a été entachée d’irrégularités. Car, à les entendre, après la première Assemblée générale élective organisée par les organisations privées du secteur comme le recommandent les textes en vigueur invalidée par le Mirah, la seconde Assemblée générale élective de remplacement a été organisée de bout en bout par le ministère lui-même (le choix des délégués, les convocations, des documents demandés à un candidat à la veille de l’AG, etc) contrairement aux recommandations desdits textes.
Pis, cette AG a vu des organisations-clées écartées du processus. « Et malheureusement, ceux qui s’opposaient au plafonnement des prix se retrouvent aujourd’hui à la tête de cette interprofession, aggravant ainsi les tensions », ont-ils révélé.
Un impact lourd sur les plus démunis
« Cette situation affecte particulièrement les plus pauvres, que le décret présidentiel visait initialement à protéger. Le « garba », aliment de base pour les moins nantis, est devenu un luxe inabordable pour de nombreuses personnes », disent-ils.
Un appel à l’union et à la concertation
« Nous ne cherchons pas l’affrontement, mais la solution. Nous croyons en la force de la proposition et de la persuasion, et c’est pourquoi nous appelons à l’organisation des états généraux de la filière halieutique. Ce moment de concertation permettra de diagnostiquer les problèmes, d’envisager des solutions adaptées et de s’inspirer des réussites d’autres secteurs. L’objectif est de garantir que chaque Ivoirien puisse continuer à accéder à des produits halieutiques de qualité, à des prix justes », ont-ils avoué.
Puis d’ajouter : « Il est temps d’adopter une approche inclusive et participative pour sortir de cette crise. Ensemble, nous pouvons rétablir la stabilité de la filière halieutique et assurer l’avenir de milliers de familles qui en dépendent ».
Patrick Bouyé