Santé
REPORTAGE / Danané: Sos pour le dispensaire de Singouiné, les femmes accouchent à l’aide de lampe torche; cadres, chefferie et Ministère de la Santé indifférents
Dans l’ouest montagneux de la Côte d’Ivoire, l’accès aux soins et aux services de santé reste globalement difficile. Le défaut d’infrastructures sanitaires, ajouté à l’insuffisance du matériel médical éloignent considérablement les populations des dispensaires et autres centres de santé.
A Singouiné, village de la sous-préfecture de Mahapleu, situé à près de 32 kilomètres de Danané, le dispensaire rural est dans un état de délabrement avancé, présentant des façades dépeintes, un sol noirci et une cour déserte. Au-delà de l’offre des soins de santé primaire, le dispensaire est loin d’être un établissement de référence pour les 8500 habitants qui le fréquentent. Depuis plusieurs années, l’infirmier Kouassi Ernest dit se battre pour sauver des vies dans cette localité. Ce dimanche 21 Juillet 2024, nous enfourchons une moto pour Singouiné, dans la tribu Koalé. A 16h11, nous arrivons dans le village Peuzigui.
Prochaine destination, le village de Singouiné à 2 kilomètres de là. Le chef de village de Peuzigui, Sao John, avoue avoir peu de contact avec le dispensaire rural d’à côté. «Même si nous sommes à 2 kilomètres de Singouiné, nous ne pouvons tout de même pas porter nos malades sur la tête pour des soins encore moins nos femmes pour des accouchements», ironise-t-il pour déplorer, à sa façon, le manque d’ambulance pour assurer le transport des malades depuis les quatre autres villages de la tribu Koalé.
Après deux heures d’échanges avec la notabilité de Peuzigui, nous prenons la route. Pendant la saison pluvieuse, le tronçon demeure pratiquable. Sur le trajet, le voyageur peut voir des champs d’hévéa et de cacao. Il peut humer le parfum des fèves. La tribu Koalé est une zone productrice de cacao.
Les accouchements se font à la lumière de torche
Nous arrivons dans la cour du dispensaire de Singouiné après une pluie fine. L’infirmier fait son apparition. Des bottes aux pieds, il nous tend une main vigoureuse. Le Dimanche, le maître des lieux se donne du temps pour faire un tour au champ. Du sparadrap sur le front, il confie avoir fait récemment un accident de circulation.
Si l’infirmier diplômé d’Etat affiche sa bonne conscience professionnelle, son travail dans ce dispensaire ne se fait pas sans difficultés. Les bâtiments ont la peinture totalement lessivée et le matériel médical insuffisant pour satisfaire la population de cette tribu. L’autre fait marquant est le manque d’électricité. Pourtant la quasi totalité des villages de Koalé sont électrifiés. Mais le dispensaire rural de Singouiné ne dispose pas d’électricité.
Lorsque nous rejoignons Mr Kouassi Ernest à son bureau après un tour des lieux, ce dernier nous accueille avec une torche en mains. Sans être cérémonieux, il hèle du fond d’une pièce sombre. « Venez par ici ! Mille excuses, nous n’avons pas d’électricité. A pareille heure, c’est la torche qui nous sert de source de lumière. C’est pénible le travail de nuit. La consultation ordinaire, la consultation prénatale, les pansements se font sans électricité.
Dans ces mêmes conditions, je fais les accouchements de nuit à la lumière d’une torche. Le dispensaire n’a pas de pompe villageoise. Il n’y a pas d’eau potable. Le village dispose des pompes villageoises. Le service a du mal à s’offrir deux seaux d’eau. Il n’y a pas d’électricité lors des accouchements. Je mets la torche dans la bouche et mes mains sont en bas. Quand je suis fatigué, la torche tombe et on continue à l’aveuglette. Le personnel qualifié manque», déplore l’infirmier qui insiste pour la construction d’une maternité.
Un dispensaire très peu fréquenté
Relèvant les difficultés majeures de son dispensaire, l’agent de l’Etat révèle que l’établissement est fréquenté seulement lors des distributions de moustiquaires. La dernière en date a mobilisé près d’un milier de personnes. Hommes et femmes venus des quatre coins de la tribu Koalé. En dehors des périodes de distribution de moustiquaires, le dispensaire connaît très peu d’animation.
« Les femmes d’ici peinent à se rendre à l’hôpital pour des raisons banales. Pour beaucoup d’entre elles, se faire accoucher par un homme est indécent, voire un sacrilège. D’autres vont puiser dans leurs traditions, les raisons de leur attitude vis-à-vis du dispensaire. Pour ces croyances, la nudité est sacrée. C’est véritablement la profaner qu’en faisant accoucher une femme par un infirmier», se désole l’agent de santé.
À cause de ces aprioris, le choix des matronnes est vite fait. A Singouiné, tout comme dans les 4 autres villages de la tribu Koalé, les accoucheuses traditionnelles, communément appelées matronnes sont très prisées. Dame Bla Diane, mariée à Singouiné, révèle n’avoir jamais accouché dans le dispensaire du village depuis qu’elle fait ses enfants.
« Le dispensaire de Singouiné a trop de problèmes. Et puis c’est un homme qui vous touche. Or avec les matronnes, la femme enceinte se sent entre de bonnes mains. C’est le contact d’une mère comme toi», explique-t-elle.
Pour couper court, l’infirmier Kouassi Ernest suggère la construction d’une maternité et l’affectation d’une sage-femme à Singouiné. Il révèle que sur cette question, une Ong avait projeté construire auparavant une maternité au sein du dispensaire. L’espoir suscité a été de très courte durée lorsque le projet a été dévoyé et attribué à un autre village.
Un engagement au service de la communauté à encourager
Oulaï Mah Jérôme, fils du village, avoue toute son admiration pour l’infirmier diplômé d’Etat. «Depuis qu’il est là, le dispensaire fait des prodiges. Des cas graves qui devaient necessiter un transfert sur Danané ou Man, sont traités sur place. Sans électricité, il travaille toutes les nuits dans des conditions difficiles. On a l’impression que l’Etat l’a oublié. Même là où il dort, il n’y a pas d’électricité. Il n’y a aucune installation électrique dans tout le dispensaire. J’admire son courage. C’est un bosseur qui exerce son métier avec amour », témoigne-t-il. Un peu déçu de la hiérarchie de l’infirmier.
Pour lui, le directeur départemental du district sanitaire a obligation de remonter les conditions de travail au sein du dispensaire de Singouiné et faire face aux nombreux besoins qui vont de son électrification à l’affectation d’une sage-femme et la construction d’une maternité.
Kambiré David, planteur dans le village de Singouiné, apprécie le service de Kouassi Ernest. Il l’appelle affectueusement « Docteur ». Revenu des champs, il ramène du bois pour la cuisine de son épouse. « Docteur nous soigne bien. Chez nous les Lobis, on accepte difficilement qu’un autre homme voit la nudité de nos femmes. Mais j’ai été confronté à une situation qui m’a fait avaler mes préjugés. La seconde grossesse de ma femme a connu des complications. Il faisait nuit. Je voyais ma femme en train de mourir. Mon frère et moi avons fini par la transporter en brouette jusqu’au dispensaire. Il ne dormait pas. Il a fait le nécessaire et ma femme a accouché au petit matin. Depuis, elle ne manque pas tous ses rendez-vous au dispensaire», a-t-il déclaré, jovial.
Dans le village, les efforts consentis par l’infirmier Kouassi Ernest, sont sus de tous. Chacun y va de son commentaire. Au-delà même du règlement des problèmes en cours, l’infirmier propose la transformation de l’établissement en centre de santé avec divers services pour plus de soins de qualité pour parer aux difficultés de transfert vers les hôpitaux publics de Danané et Man du fait des longues distances séparant Singouiné à ces deux localités. Ali Tiekoura, cultivateur, abonde dans le même sens. « La construction d’un centre de santé viendra récompenser tous ses sacrifices. Cela réduira considérablement les peines à bien se soigner», dit-il.
L’indifférence du Ministère de la Santé, des cadres et de la chefferie locale
Les efforts de Kouassi Ernest sont reconnus par les villageois. À la question de savoir pourquoi la situation du dispensaire perdure, Kouassi Ernest avoue sa déception de tous. «Nos conditions de travail sont sues de la hiérarchie. Le district sanitaire dit prendre la pleine mesure de notre souffrance. Que faire d’autre lorsque la solution tarde à venir ? Ici, le chef du village ne reside quasiment pas dans le village. C’est un préfet à la retraite. Il vit sa retraite à Mahapleu.
Les cadres que nous contactons, nous font des promesses sans lendemain. Beaucoup ne réalisent pas encore que le dispensaire n’appartient pas à l’infirmier. Et que c’est un établissement publique qui a besoin de fonctionner suivant des objectifs précis. J’en connais qui construisent des écoles dans la zone. Mais nous offrir un compteur et quelques mètres de fil de courant, reste encore une difficulté. Tous savent que nous sommes encore et encore dans l’obscurité. Donc vivement qu’on nous accorde l’électricité, l’eau potable, une maternité», plaide-t-il, peiné.
Selon des informations recueillies sur place, l’accouchement fait par les matronnes est encouragé par la notabilité et les cadres eux-mêmes. Ce qui explique leur indifférence et l’absence de volonté à sensibiliser sur les dangers liés aux accouchements à domicile par des personnes sans expérience professionnelle en la matière. Nous partons de Singouiné de nuit. Le village aux mille intrigues. Son animation nocturne est singulière.
Derrière nous, l’infirmier continue de prier que l’obscurité disparaisse du dispensaire et de sa résidence. Vivement que ce gros village fasse également sa toilette de conscience pour une vraie adhésion au développement à l’instar d’autres localités du pays. C’est le lieu d’inviter le pouvoir public, les organisations non gouvernementales et les cadres de la tribu Koalé à se pencher sur le cas du dispensaire de Singouiné.
Par SONY WAGONDA, de retour de Singouiné.